• Affiche du film "L'étrange histoire de Benjamin Button"

    Le principe de l'histoire est connu, puisque ce film a fait un buzz énorme pour tout un tas de raison : il s'agit donc, d'après la nouvelle de Francis Scott Fitzgerald (plus connu pour son roman Gatsby le Magnifique)parue en 1921, de l'histoire d'un homme qui naît vieillard, et qui voit le fil de sa vie s'écouler en sens inverse de celui du commun des mortels, devenant de plus en plus jeune tandis que les années passent.

    C'est évidemment le prétexte à des débauches d'effets spéciaux (numériques ou non) pour donner corps à un Brad Pitt archi-vieillard, puis juste vieux, puis plus jeune qu'aujourd'hui, et qui ont généré l'essentiel de la rumeur autour du film. La qualité de l'image, comme toujours chez David Fincher n'est globalement pas mise en cause : c'est soigné et esthétiquement réussi (à part pour les premières scènes de flashback qui nous ramènent, à travers les yeux de la grand-mère mourante (Cate Blanchett, transparente), à l'inauguration de « l'horloge qui allait en sens inverse » : l'excès d'effets (le sépia + le grain abimé + les rayures et le saut de la bande, stop, c'est trop !). On ne peut quand même empêcher le regard d'accrocher sur la bizarrerie des effets numériques, qui ne se fondent pas encore parfaitement dans l'image pourtant très travaillée du film ; mais si je trouve inapproprié d'encenser ce film pour ses effets spéciaux, je pense qu'il serait aussi excessif de le dénigrer pour leur faiblesse relative.

    Pour en venir plutôt à l'essentiel -le fond- on pourra louer la façon poétique dont le concept énorme (l'homme qui vieillit à l'envers) permet d'aborder les questions du passage du temps, de la fugacité des instants précieux (les deux amants ne pourront s'aimer que durant une poignée d'années, la scène dans le présent est rendue fragile par l'imminence de l'ouragan Katrina, prêt à déferler sur la Nouvelle-Orléans et, à l'instar du temps (qui passe), à tout ravager en ne laissant que de frêles débris,...), des passages obligatoires de la vie d'un homme (parce qu'il murit en rajeunissant physiquement, Benjamin se trouve plusieurs fois amené à faire des choses qu'un homme de son âge (mental) ou de son âge (physique) aime à faire, et au final, celles-ci ne sont pas toujours très éloignées, comme si les deux phases de sa vie au-delà du point central que représente la maturité, étaient le reflet (déformé uniquement par son aspect physique) l'une de l'autre : l'envie de voir le monde aussi bien quand il est vieil adolescent que jeune sage, par exemple) ...

    Mais bon, ça, c'était déjà dans le bouquin, en fait ; et c'était une nouvelle, là où le film dure 2h35.

    Et 2h35, c'est long, surtout quand il ne se passe rien. A part de rares moments (la vie de matelot de Benjamin, pour l'essentiel), c'est quand même le grand vide en termes d'événements marquants et les scènes anecdotiques s'enchaînent à un rythme bien mollasson : c'est qu'on soigne plutôt l'atmosphère dans ce film, or la gravité du personnage principal, frappé par sa différence, assombrit volontairement le ton du récit ; on est ici dans le registre fantastique, certes, mais pas du tout dans le merveilleux et je suis assez surpris de certaines critiques que j'ai pu lire ici ou là, qui voient dans ce film un hymne à l'Amérique du « Yes we can », vantant l'empathie de Fincher avec l'air du temps ou condamnant sa roublardise.

    Rien dans ce film plutôt désenchanté (« désenchanté » m'a paru moins agressif que « barbant ») ne me semble avoir été « calculé » pour coller à la période actuelle, hormis peut-être pour ce qui concerne les effets spéciaux. L'enjeu de tout ça était-il de juste permettre de pousser un peu plus loin encore les limites de la magie des effets spéciaux numériques, en donnant corps à un Brad Pitt reconnaissable aux différents âges de sa vie malgré les transformations qui l'affectent ? Sincèrement, je me pose la question, parce que pour moi le prétexte du film (le vieillissement à l'envers, donc) n'apporte rien du tout au fond de l'histoire, et il n'y a rien là qu'on n'aurait pas pu retrouver dans un film avec un concept moins énorme : durant toute la partie où l'enfant est vieux, l'ostracisme dont il est frappé, ce sentiment d'étrangeté qui le coupe du monde, auraient aussi bien pu être narrés par l'intermédiaire d'un personnage handicapé, ou issu d'une minorité, ou que sais-je encore. On atteint même clairement les limites de la crédibilité du concept quand Benjamin, ayant atteint l'âge de la maturité en même temps que la femme de sa vie (mais en sens inverse, donc), annonce qu'il quitte le foyer parce qu'il ne veut pas être à sa charge : en clair, il a quarante ans, donc encore dix ans avant d'avoir trente ans, vingt ans avant d'en avoir vingt, bref, il y a de quoi profiter encore un peu de la vie avec la femme qu'il est censé aimer. Aucune raison donc de se précipiter pour quitter l'œil du cyclone à part :

    1 . si le personnage est hypocrite et souhaite en fait profiter de la jeunesse de son corps pour faire les trucs que font les jeunes de cet âge, ce que peut plus ou moins laisser penser la suite de l'histoire (Benjamin part vivre sac sur le dos en Inde -on est dans les 70's) mais qui semble franchement incohérent avec l'esprit du reste du film (mais pourrait davantage correspondre au personnage de la nouvelle en revanche, qui se livre à des occupations frivoles et devient une vedette du sport universitaire lorsqu'il gagne en jeunesse physique)

    2. si l'idée du personnage qui vieillit à l'envers n'est qu'un argument purement conceptuel et qu'on abandonne la cohérence de l'histoire pour explorer le concept jusqu'au bout.

    3. si ce concept n'est qu'un argument marketing pour faire venir des foules qui ne se seraient autrement jamais déplacées pour se voir réciter une morale si banale et suivre une histoire d'amour aussi plate (voire, inexistante : pas la moindre étincelle entre les acteurs à quelque moment du film, et dans la scène au cours de laquelle Benjamin repousse sa belle encore insuffisamment mâture on ne peut qu'abonder en son sens : on a plus envie de coller des tartes à la pimbêche que des baisers sur ses lèvres).

    La première solution ne me paraît pas vraisemblable par rapport à l'esprit du film, et au personnage de Benjamin Button qu'a choisi de faire vivre Fincher (et qui de ce que j'ai compris n'est pas exactement le même que celui du livre) ; j'hésite donc entre la 2e et la 3e solution, qui ne sont ni l'une ni l'autre très flatteuses.

    Au final donc pour moi, un film esthétiquement réussi mais barbant, et surtout bidon à cause de ce concept énorme et pourtant inutile en termes de récit pendant la première moitié du film, puis absurde pendant le derniers tiers.  


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    Séquence introspection : quand j’étais au lycée, je considérais les explications de texte auxquelles le programme et nos insupportables profs de français nous soumettaient, comme de vastes fumisteries. Tout ça pour moi relevait de l’interprétation arbitraire, et apprendre ce que signifiait tel ou tel texte consistait en fait à apprendre ce que la norme considérait qu’on devait y voir : j’écrivais moi-même de médiocres nouvelles à l’époque, et il était clair pour moi qu’on pouvait écrire des pages et des pages sans forcément chercher à dire quelque chose de plus que ce qu’on écrivait littéralement, et qu’on pouvait voir ce qu’on voulait dans telle ou telle tournure de phrase à partir du moment où on avait décidé qu’on allait y trouver quelque chose.

    Je ne suis pas complètement revenu sur cette dernière idée, même si après quatre ans d’étude en médiation culturelle au cours desquels j’ai suivi des cours de sémiologie (la science des signes), j’ai quand même fini par admettre que quand on crée quelque chose à partir de rien, chaque élément qu’on ajoute est choisi, et donc potentiellement signifiant (potentiellement seulement, hein : je reste quand même convaincu qu’un bon paquet de trucs qui sont produits aussi bien en littérature qu’ailleurs n’ont pas vocation à être interprétés au-delà de ce qu’ils disent littéralement ; il y a aussi toute une partie des interprétations qui peuvent être faites qui révèlent davantage sur l’inconscient de l’auteur que sur sa volonté consciente et là on en finit pas, surtout quand la subjectivité de l’interprète vient inévitablement par-dessus ça affecter la perception du message original).

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    Bref, la sémiologie, c’était quand même un cours intéressant même si ça frisait souvent la capillotraction (ce mot n’existe pas, mais je ne voyais pas d’autre tournure pour placer mon jeu de mots (friser, tirer par les cheveux, tout ça)).

    Et toute cette introduction, donc, pour expliquer pourquoi je publie aujourd’hui ce billet qui devait être court au départ, sur une humble publicité pour la marque Darty.

    La marque a d’habitude recours à des publicités plutôt simples aussi bien en ce qui concerne le fond que la forme : le logo de la marque, très épuré, la voiture tricolore bleue-jaune-blanche soi-disant emblématique du groupe (on n’en voit plus dans les rues depuis 12 ans –edit : tiens ben je viens juste d’en voir une ce midi en fait ! Je croyais sincèrement qu’il n’y en avait plus), et un message écrit en gros caractères noirs sur fond blanc.

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    Or, la dernière publicité exploitée par Darty pour sa Dartybox est à l’inverse complètement saturée de graphismes au look « jeune » et branché, genre BD 3D, ce qui est une première chose à noter : c’est que la cible visée n’est plus la même qu’avec les clients traditionnels de Darty, qui viennent y trouver d’ordinaire de l’électroménager classique, familial.

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    Le message annonce textuellement, avec un lettrage qui rappelle le graffiti - art mural urbain moderne et rebelle – « Vous en voulez toujours plus ? ». La saturation de l’espace par le message exprime ici le « plein » de  « matos » que pourra fournir la box à son heureux acquéreur (sachant qu’aujourd’hui toutes les « box » fournissent en gros la même offre, à part celle de Free qui continue à garder une longueur d’avance sur ses concurrents en matière d’innovation en apportant des contenus inédits, avec les chaînes perso par exemple).

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    Jaillissant des étroits interstices laissés entre les lettres, la publicité explicite un peu plus en détail toutes les merveilles auxquelles la Dartybox nous donnera accès (là où les concurrents énumèrent ces services de façon tellement stéréotypées que personne n’y accorde plus la moindre importance, pas même les annonceurs eux-mêmes qui mentionnent certains services en double dans leur pub : je ne sais pas si je vais réussir à la retrouver [ndr: effectivement, je n'y suis pas arrivé], mais on pouvait lire récemment une pub pour la Neufbox je crois, qui promettait avec son produit quelque chose comme la ligne téléphonique, le téléchargement illimité, <st1:personname productid="la télé HD" w:st="on">la télé HD</st1:personname>, et le téléphone !).

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    Or, et c’est là en vérité la raison de ce billet, le lecteur attentif de cette image (il a suivi des cours de sémiologie, je vous rappelle) découvre avec une certaine stupéfaction lesdites promesses :

    - une souris (on peut… se servir de sa souris sur Internet ? Bon, là ils se sont sans doute un peu craqués, mais je suppose que ça doit rappeler au consommateur que la Dartybox, c’est pour l’ordinateur)

    - un type avec un casque sur les oreilles (hé, tu peux télécharger toute la musique que tu veux sur Internet ! Légalement, cela va de soi.)

    - une télécommande (on peut regarder la télé sur Internet, accéder à des chaînes supplémentaires, etc.)

    - une main qui tient un téléphone (on peut téléphoner gratis avec une box)

    - un joystick (on peut jouer sur Internet) 

    Et… mais… qu’est-ce que c’est que cette longue jambe dénudée ?

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    Que promet au juste cette cuisse offerte ?

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    Incroyable ! Ce que cette pub vante en image et qu’aucune autre pub n’a pu faire avant elle parce qu’elle passait par le langage verbal, c’est le cul !

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    Là, je suis quand même curieux de connaître l’impact de cette campagne chez ceux qui auront eu l’occasion de la voir, parce que le visuel est quand même vachement chargé, et je serais déjà étonné que du monde se soit vraiment attardé dessus (déjà, que moi je me sois attardé dessus, ça m’épate, alors…) ; et ce détail qui change tout, cette cuisse nue qui est là, combien de gens l’auront remarqué parmi ceux qui auront vu cette pub ? Combien auront été suffisamment interpelés par cet élément étonnant pour comprendre qu’il ne s’agit pas que d’un élément de décor mais bien d’un argument de vente ?

    Et pourtant, il est impossible d’imaginer que cette jambe se soit glissée là par hasard : il n’y avait rien, là, et quelqu’un, à un moment de la conception de la pub, l’a insérée là (et les autres qui ont validé la pub l’ont laissée !).

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    Blague potache des auteurs de la pub pour eux-mêmes et pour ceux qui deviendront les complices de leur gag en découvrant ce truc énorme et franchement assez incongru ? Clin d’œil adressé aux jeunes, qui pourront plus facilement décoder la métaphore parce qu’ils comprennent à la fois mieux ce langage visuel (BD/ graff/ jeu vidéo…) et qu’ils savent bien ce qu’on peut effectivement trouver sur Internet ? Message purement mercantile de la marque qui appâte le chaland avec la plus vieille marchandise du monde, avec pour le coup une vraie trouvaille qui leur permet d’exprimer ce que personne à ma connaissance n’avait pu exprimer dans une pub grand public jusque là (en tous cas pas comme un argument de vente positif)?

    Je serais curieux d’en savoir davantage sur la genèse de cette pub, et en tous cas, ça valait bien un petit billet ! ;)

     


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