• Il est toujours délicat de faire la critique d’un spectacle quand les places vous en ont été offertes, d’autant plus quand la personne qui vous les a offertes se trouve être l’un des trois seuls bienheureux lecteurs de cette page.

    Néanmoins, avec seulement trois semaines de retard sur la date réelle à laquelle nous avons assisté à la représentation, Elise, Pierre, Marion et moi, je m’astreins à ce difficile exercice, histoire d’en conserver la mémoire comme le veut l’esprit de ce blog.
     
    L’histoire, fameuse (Othello est sans doute l’une des pièces les plus fameuses de Shakespeare après Hamlet ou Mac Beth –même si en creusant un peu (ce que je viens de faire à l’instant pour voir si je ne racontais pas d’énormité) on s’aperçoit que des pièces fameuses de Shakespeare, on peut facilement en lister une dizaine de vraiment connues), est celle du général Othello, vénitien d’origine mauresque, dont le jaloux Iago va s’acharner à causer la perte en aiguillonnant sa suspicion d’une possible infidélité de son épouse, la vertueuse Desdémone.
    L’ensemble de la pièce fournit matière à de nombreuses interprétations, de la plus littérale à la plus poétique, mais le thème en est sombre et la pièce est traditionnellement considérée comme un drame. La première « astuce » du metteur en scène Eric Vigner (dont le caractère intentionnel m’aurait complètement échappé si je ne l’avais pas lu sur un site au cours de la préparation de cet article) consiste à faire jouer ses acteurs (et notamment le vil Iago) non pas sur la tonalité du drame, mais sur celle, disons, de la comédie (la farce ?). L’idée est intéressante sur le principe, considérant qu’il s’agit là d’essayer de livrer une nouvelle version d’une pièce qui a déjà été jouée un petit nombre de fois, qui a fait l’objet de plusieurs films, etc. et qu’un angle inattendu pourrait rendre séduisante par sa nouveauté.
    Mais disons-le franchement, l’effet est complètement raté : en tentant de respecter cette tonalité, les acteurs donnent tous l’impression de jouer atrocement faux, certains finissant systématiquement leurs phrases plus haut qu’elles n’ont commencé (Iago, le doge…), d’autres conservant un ton imperturbablement placide quel que soit leur texte (Cassio), le rôle-titre exagérant pour sa part chacun de ses gestes (l’acteur passe quand même une bonne partie de la pièce avec les bras tendus au-dessus de sa tête…) et prenant une intonation à la Michel Leeb en plein milieu d’une tirade sur les anthropophages (son complice Roderigo gagne, lui, au fur et à mesure de la pièce un accent germanique de plus en plus marqué, bien qu’inexplicable). Quant à Bianca, la maîtresse de Cassio, elle se tortille sur scène en costume moulant dans des poses grotesquement suggestives : pour le décalage certes, c’est une réussite. Pour le plaisir du spectateur, par contre…
     
    Les costumes, à l’instar du jeu outré des acteurs, sont grotesques (grenouillère moule-burnes pour Iago, pyjama trop grand pour Othello dans la première partie, costume fini de schtroumpf pour le doge… je ne reparlerai pas de la tenue latex de Bianca).  
     
    Le décor par contre est assez réussi, avec un plateau circulaire noir et réfléchissant qui pivote littéralement lors de certaines scènes, étendant artificiellement les distances entre les personnages, et les positionnant régulièrement comme des pions immobiles sur un plateau mouvant : un décor très abstrait qui évoque l’espace mental d’un unique personnage dans lequel toute la pièce pourrait se jouer (l’une des interprétations de la pièce, que je trouve très séduisante, fait de Iago une simple part de la conscience d’Othello, ce qui rend soudainement bien plus plausible la facilité avec laquelle Othello tombe dans les pièges de Iago, qui manquent étonnamment de subtilité, et dont la crédibilité est accentuée par le discours final d’Othello : au moment de se donner la mort, il rappelle qu’il reste aux yeux des vénitiens, et donc paradoxalement aussi aux siens, un étranger ; le rejet de ceux qu’il aurait aimé considérer comme ses pairs a causé la propre haine de soi, et le suicide ultime, d’Othello).
    Le reste du décor est constamment remodelé par l’assemblage changeant de deux hauts escaliers métalliques sur roulettes et au travers desquels filtre une lumière assez réussie qui redonne une atmosphère à la pièce… mais entre malheureusement en contradiction avec le jeu des acteurs, au ton diamétralement opposé à celui diffusé par ce spectre lumineux et des effets visuels à la fois sobres et cérébraux.
     
    En conclusion, cette mise en scène confortera à mon sens ceux qui pensent qu’on ne peut pas faire n’importe quoi avec n’importe quel texte : la direction générale des acteurs flingue irrémédiablement la gravité de la pièce, et leurs clowneries ne collent jamais avec ce qui se joue, rendant impossible, au-delà de l’occasionnelle stupéfaction, le rire complice du spectateur. 
    Et le déplaisir de ce dernier dure longtemps… longtemps…
     
    A ne pas voir, même (surtout ?) pour rire.

    [ce qui n'empêche pas passer tout de même une très bonne soirée, du moment qu'on est en bonne compagnie et qu'on peut dire du mal en choeur de la pièce après ^^ ]

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